Claire Mounier-Véhier : "Alerter les femmes sur un risque évitable"

Avant sa conférence "Mon combat pour le coeur des femmes" à Loos, interview avec Claire Mounier-Véhier, professeur au CHU de Lille.

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Cardiologue, professeur au CHU de Lille et ancienne présidente de la Fédération Française de Cardiologie, Claire Mounier-Véhier milite depuis très longtemps pour la prévention des risques de maladies cardio-vasculaires chez les femmes. Plus banalisée et à l'inverse moins soignée que chez les hommes, cette maladie reste pourtant l'une des premières cause de mortalité chez les femmes, avec 75 000 décès par an en France.

Bonjour Claire Mounier-Véhier, vous intervenez prochainement à Loos pour une conférence, pouvez-vous nous parler de "votre" Parcours du Coeur ?

Je suis d'origine parisienne, arrivée à Lille en 1984 pour l'internat. J'ai choisi la cardiologie alors que je voulais faire de la gynécologie, un problème de vue m'a contrainte à tourner le dos à la filière chirurgie et me tourner vers la gynécologie. Après une rencontre impactante dans ma vie, celle du professeur Carré, spécialiste de l'hypertension artérielle à Lille, j'ai souhaité m'engager sur cette thématique par le prisme de la santé des femmes. Au fur et à mesure de ma formation à l'internat, j'ai travaillé auprès de femmes enceintes en situation d'hypertension. Avec mes collègues du service gynécologie, on a mis en place le premier parcours cardio-gynéco à Lille, effectif en 2011.

Vous travaillez à l'organisation d'une consultation de dépistage dès 50 ans ?

Oui, le parcours créé en 2011 se développe. Cela a conduit à l'acceptation par l'Agence Régionale de Santé (ARS) Hauts-de-France d'un projet de transplantation de ce parcours de soin en ville, en lien avec les professions médicales : cardiologue, sage-femme, médecin généraliste, kiné. L'objectif, c'est d'organiser une consultation de dépistage chez la femme à 50 ans. Ce qui permet d'augmenter les chances de déceler un risque de maladie cardio-vasculaire à cet âge, là où paradoxalement on va plutôt chercher à dépister le cancer du sein, quand la première maladie est plus mortelle que la deuxième. Si l'expérimentation est concluante, toutes les femmes en France seront remboursées de cette expérimentation, on pourra être fiers que ce soit né dans les Hauts-de-France !

Pourquoi les femmes sont-elles davantage exposées que les hommes à ce type de maladie cardio-vasculaire ?

Mourir d'une maladie cardio-vasculaire est sept fois plus probable que de mourir d'un cancer du sein. Alors que, spontanément, le diagnostic d'un cancer du sein va davantage nous alarmer que celui d'une maladie du coeur. Pourtant, les femmes sont très exposées. Il y a une disproportion de prise de conscience entre ces deux maladies. C'est pourquoi je veux agir sur la prévention, car 8 accidents sur 10 sont évitables avec une hygiène de vie préventive. 

Les femmes, jusqu'à il y a 50 ans, avaient un mode de vie très différent de celui des hommes. Depuis plusieurs décennies, elles ont acquis le même mode de vie que les hommes, en accumulant les responsabilités, à la maison, avec les enfants, au travail. On constate un stress très élevé, comme une consommation de tabac de plus en plus jeune. Tous les facteurs de risques sont plus toxiques chez une femme, quand leur hygiène de vie peut, à l'inverse, être beaucoup plus bénéfique, d'où l'importance d'avoir une bonne hygiène de vie et de prévenir le plus tôt possible.

Les femmes auraient donc des prédispositions à être victimes de ce type de maladie ?

Tout à fait ! Par exemple, elles ont des artères plus petites, une physiologie cardio-vasculaire différente. En réalité, l'expression de la maladie va être différente chez la femme par rapport à l'homme. La médecine s'est fondée sur des tests réalisés auprès des hommes. De ce fait, les symptômes relevés vont renvoyer à d'autres maladies, en banalisant parfois totalement les risques liés aux maladies cardio-vasculaires et en diagnostiquant autre chose (gastro-entérite, rhumatisme). On en pensera pas forcément à la maladie du coeur, et les femmes ne sortiront pas avec la même ordonnance que les hommes.

Ce qui différencie l'homme de la femme, ce sont aussi les hormones. La contraception, avec des ostrogènes de synthèse, peut donner des accidents artériels (des caillots de sang). C'est un facteur qui va venir s'accumuler à l'âge, au fait de fumer, à l'hygiène de vie...etc. Attention, il y a toujours moyen de donner une contraception adaptée à une femme ! 

En réalité, les maladies cardio-vasculaires chez les femmes n'ont pas d'âge ?

Exactement, il y a une continuité de l'exposition aux risques de maladie cardio-vasculaires chez les femmes, de l'âge foetal au décès. Concernant l'âge de 50 ans, il correspond à un âge où l'on doit interroger la femme sur ses antécédents gynéco-obstétricaux. 

Vous dites que l'avenir, c'est la prévention ?

Oui, nous avons la chance d'avoir un système de santé équitable. Quand dans d'autres pays, c'est la richesse qui conditionne l'accès aux soins. Financer la recherche est très important, c'est le cas en France. Mais en amont il faut aussi travailler la prévention et les maladies évitables. Car décelées à temps, grâce à une réelle prise de conscience des risques et des manières de les combattre, les maladies cardio-vasculaires peuvent être évitées.

Dernière question, quand on a un rythme de vie comme le vôtre, comment ménage-t-on son coeur ?

Je fais une sieste ! Je me force à faire cette pause pour reposer mon corps. J'ai aussi une hygiène de vie saine, comme les sportifs. Je me couche tôt, je ne fume pas et je bois modérément. Je m'accorde aussi des moments plus monacaux où l'esprit peut aussi se laisser du temps libre. Il n'y a pas de secrets ! 

Quelques conseils pour protéger son coeur

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Pr Claire Mounier-Véhier

Professeur des Universités en médecine vasculaire

Chef du service de médecine vasculaire et hypertension artérielle à l’Institut Coeur Poumon du CHU de Lille.

Présidente de la fédération régionale de cardiologie Nord-Pas de Calais, ex-présidente de la Fédération Française de Cardiologie

Auteur du livre "Mon combat pour le coeur des femmes", paru en 2019 aux éditions Marabout.